Le Faiseur de Masques
La pluie tapait contre les vitres de la pièce aux rideaux tirés. Seul son dans l'écho d'un silence qui imprégnait les lieux, vides et sans vie. La Lune projetait un rayon lumineux à l'intérieur, au travers d'un tissu mal recouvert et comme autant de petits êtres rieurs, faisait danser les grains de poussière. La scène aurait presque pu dégager une aura de sacré, si seulement l'ambiance lugubre du lieu ne le tapissait pas. Sur le sol de bois sombre, des fragments brisés contrastaient de par leur pâleur immaculée. Le battant de la fenêtre claqua soudainement, entrainé par le vent sifflant qui s'engouffra avec violence, inquisiteur. Avant que l'humidité se déverse un peu plus par le biais de flaques prenant des teintes étrangement argentées au contact des morceaux brisés, elle se referma de nouveau dans un craquement sonore.
Le silence se fit de nouveau roi des lieux, recouvrant de son manteau majestueux les moindres recoins, plus qu'interrompu par les tapotements de la pluie contre les vitres. Le rideau s'était ouvert, dévoilant à la clarté de la Lune l'être qui se tenait prostré au centre de la pièce, au milieu du plâtre fêlé. Les longs tissus de soie colorée qui recouvraient son corps semblaient avoir perdu leur éclat, dans ces lieux monochromes. L'eau gouttait de sa capuche en un clapotement régulier et venait s'écraser sur le sol.
Ploc, ploc. Pas un geste ne le secoua et les secondes s'écoulaient comme la nappe liquide qui prenait sa source dans ses vêtements gorgés d'eau, puis s'étendant petit à petit. Un tremblement saisit la silhouette nappée de couleurs suggérant une intensité paradoxale envers le corps qui ne semblait être que ténèbres. Une main gantée progressa avec lenteur jusqu'à son visage.
Ploc ploc. Le masque se détacha sans encombre et gît, soutenu par une paume toute enveloppée de cuir sombre. Nul visage n'était visible sous la capuche de l'ombre, qui tournait le dos à la Lune. Les tremblements s'intensifièrent subtilement. Le vent s'était tu dans un gémissement.
Ploc, ploc, susurrait doucement l'eau de pluie intarissable.
Aussi véritable que fut le silence quelques secondes plus tôt, tout s'anima. L'être se redressa d'un geste, envoyant le masque se briser sur le mur dans un hurlement rageur qui fit trembler les murs. Les éclats tombèrent au sol, rejoignant les restes de ses prédécesseurs. Un râle lugubre sortit de la bouche de l'homme qui avait retiré ses gants et observait ses mains avec intensité, avant d'y enfouir son visage. Ses doigts se crispèrent et tout son corps se tendit dans un même mouvement. Un grondement véhément monta dans sa gorge alors qu'il se précipita vers le fond de la pièce qui dévoila un petit atelier sur lequel gisait une quantité impressionnante de figures en plâtre, chacune prônant ses particularités, touche de couleurs, formes extravagantes. Du travail de qualité. Toutes se retrouvèrent sur le sol lorsque que Croquelune retourna le meuble de bois avec colère, l'expédiant au centre de la pièce. Ses doigts parcouraient son visage à la recherche de traits qu'il ne reconnaissait pas. Ses ongles laceraient sa peau en de longs sillons sanglants tandis qu'une lamentation secouait son corps, entre la peur, la rage et le désespoir. Ses talons brisaient les masques un à un.
Ploc, ploc, faisait le sang de l'assassin, qui coulait de son menton, traçant des lignes vermeilles sur son passage.
Les minutes s’allongèrent. Les heures passèrent. Comme une flamme soufflée, la fureur de Croquelune, qui avait retrouvé sa position prostrée, n'était plus que cendres. Il se redressa finalement, avec une lenteur infinie, se penchant pour ramasser les éclats brisés, s'écorchant les doigts. Lorsque l'atelier fut remis en place, il sélectionna plusieurs bandelettes de plâtre humide avant de les placer avec douceur sur son visage, modelant les traits que ce dernier adoptait. Un masque pour chaque figure. Un masque pour chaque être. Un masque pour chaque cadavre. Il n'en n'oublierait aucun.
Car le seul qu'il ait oublié, c'était le sien.
Ploc, ploc, firent les larmes de Croquelune, se mêlant au plâtre et au sang qui maculait son visage.