Seule la douce caresse du vent et le grattement chantant d’une mine de carbone sur un vieux bout de papier froissé se font entendre. Au sommet d’une tour escarpée, une enfant dessine, sourcils froncés et langue tirée, une esquisse des bâtiments l’entourant. Elle lève ses yeux un instant, penche la tête de côté en tapotant ses lèvres du bout de son crayon d’un air pensif avant de lâcher une exclamation de joie et de se remettre à griffonner avec empressement sur son vieux journal abîmé. Petit à petit, sous ses yeux bleus-gris, prend vie la nouvelle ville où elle se trouve : Nèpres.
Après avoir quitté les terres elyakies en catastrophe, la fille du vent s’est perdue dans la jungle merveilleuse de Malaggar où rencontres et aventures se sont enchaînées à toute vitesse, laissant la jeune fille quelque peu hagarde. Mais qu’importe, c’est oublié. À présent la voilà en Morrokoth pour sa toute première mission.
Un frisson traverse l’enfant, mêlant appréhension, joie et excitation. Une mission ! Et pas des moindres : il lui faut retrouver la trace d’un commerce trop florissant de lanythes. Les premiers indices l’ont menée ici, dans la capitale nazakhine, et l’enfant se doit de les suivre. Résistant donc à son envie irrépressible de se perdre dans la vie coulante et chatoyante de cette nouvelle ville, l’enfant, à peine arrivée, a grimpé sur la plus haute tour qu’elle put trouver. Bien qu’elle n’ait jamais escaladé de bâtiment aussi grand, ce fut un véritable jeu d’enfant : quelle rigolade toutes ces prises offertes en comparaison aux murs lisses en terre dorée des cités du désert !
L’enfant fronce de nouveau les sourcils, lève et baisse les yeux à plusieurs reprises, étonnée.
”Qu’est-ce que...? Ce quartier n’a rien à faire là ! Murmure-t-elle pour elle même tandis que, sur ses épaules, son compagnon à poils s’agite.”
La fille du vent se gratte la tête et la secoue, ne comprenant pas. Il lui semblait avoir prêté attention aux moindres détails, observant finement le paysage qui se trouvait face à elle avant de le reproduire avec application dans son carnet. Pourtant, elle a beau comparer, encore et encore, il faut qu’elle se rende à l’évidence : ce qu’elle a dessiné pendant près d’une heure et ce qui se trouve en face d’elle n’ont rien à voir. Rien. Du tout !
Exaspérée, l’enfant lâche un profond soupir et gribouille sans aucune pitié le papier sur lequel elle s’est tant appliquée. Et elle qui pensait avoir progressé! Son attention sera-t-elle toujours si aléatoire qu’elle ne sera même pas capable de se rendre compte de ce bâtiment gigantesque se trouvant sous son nez ?
”Que..?!”
L’enfant ne peut s’empêcher de s’exclamer de surprise. Cette structure immense à l’architecture si saugrenue se trouvait-elle réellement présente sans qu’elle n’en prenne conscience ? Comment a-t-elle pu l’oublier ? Sa mémoire est pourtant censée s’être améliorée ! Que lui est-il arrivé ? S’est-elle encore perdue dans les affres de ses pensées, dévorée par le vide de son être qui s’étend à l’infini sous ses pieds ? A-t-elle oublié ?
L’enfant suffoque, prise de panique. Depuis combien de temps est-elle là ? Que fait-elle ? Sur ses épaules, elle ne s’en rend pas compte de l’affolement de son compagnon, trop emportée dans son propre tourbillon pour en prendre conscience. Prise de vertige, elle a besoin de s’appuyer et de se redresser, de retrouver le contact du vent si familier. Mais même lui ne parvient pas à l’apaiser, ne parvient pas à la ramener à la réalité. C'est même tout le contraire. Il lui échappe, se dérobe. Lui qui est toujours présent en elle se montre à présent insaisissable. Elle ne le touche plus, ne le sent plus. Que lui arrive-t-il ? Où est-il ? Qui est-elle ?
Une voix, phare dans la tempête de ses pensées, la ramène sur la rive. Le souffle coupé et le cœur battant à toute allure, l’enfant s’approche du bord et observe la chevelure flamboyante qui se trouve quelques mètres plus bas.
”Tout va bien ? Lui demande-t-elle d’une voix encore quelque peu tremblante.”
L’enfant vacille un instant. Elle vient de se rendre compte. Quelques mètres seulement..? Alors qu’elle pensait se trouver au sommet d’une des plus hautes tours de cette ville..! Ses bras lâchent un court moment, sa tâte bascule dans le vide et c’est par miracle si elle parvient à se rattraper au rebord de pierre brûlant. Dans un cri mêlant surprise et douleur, l'enfant retire ses mains précipitamment.
Et puis, au-dessus de sa tête, une explosion. Un bruit immense, retentissant dans chacune des rues de la ville, se répercutant sur chacune de ces façades.
Ce qui semble être un navire vient de s’écraser sur le sommet pointu d’un bâtiment étrangement tordu.