Un temple dans un arbre ? Quelle est cette magie noire ? [PV : Sylsiza'an Hrothgar]

Mon séjour à Elmur m'offrait une myriade de tableaux tous plus beaux les uns que les autres. J'admirais cet arbre cyclopéen, d'où fleurissaient de vastes demeures. Différentes sculptures parsemaient cette ville, étant parfois reproduites sur les murs en bois. Cependant, mon regard semblait comme hypnotisé par le sommet, ce sommet aux éclats rougeoyants, ce temple mystique.

Je m'étais procuré un petit guide dans lequel un voyageur contait ses exploits mais surtout les merveilleux endroits découverts. Il disait que rien n'était plus beau et majestueux que le temple de Zanory. Tout excité que j'étais, j'empruntai les ponts balançant et escaliers circulaires afin de rejoindre les hauteurs de la ville.

Une fois parvenu à destination, je m’assis sur une pierre, à côté du sentier. L'ascension avait été plus fatigante que prévue. Me saisissant de ma gourde, j'espérais me désaltérer mais aucune goutte ne vint me rincer le gosier. La secouant, grommelant, je repris mon bâton et m'avançai vers le temple. Je n'avais pas prévu de m'y introduire mais la soif me tenaillait.

Avant même que je ne puisse ouvrir la porte, un nuage de poussière m'aveugla.

- A-atchoum ! Bon sang, qu'est-ce que...

Aussitôt refermée, je ne reçus aucune réponse. Ma stupéfaction me figea littéralement sur place. Quelle belle façon d'accueillir ! Mes habits souillés, je m'apprêtais à repartir sans demander mon reste, jusqu'à ce qu'une voix désolée me retint :

- Je suis vraiment désolée ! J-Je ne vous avais pas remarqué… Rentrez ! Si vous êtes venus pour une consultation, je vous la ferais gratuitement !

Je me grattai la tête, à présent plus vexé de mon manque de présence que de son attitude.

- En voilà des mani...

Quelle beauté ! Je n'en croyais pas mes yeux. Mon agacement se dissipa aussitôt.

- Ce... ce n'est rien. Euh, auriez-vous l'amabilité de me servir un peu d'eau ? C'est que... la montée fut ardue.

Le regard rivé vers la droite, je fis un petit sourire gêné avant d'entrer. La simplicité des lieux contrastait étrangement avec la façade. La pierre, les quelques tissus, toute cette sobriété soulignait l'humilité dont ces gens faisaient preuve. Cette atmosphère intrigante me poussa à réfléchir. Une consultation ? J'avais entendu quelques bribes à ce sujet.

- Mh, d'ailleurs... qu'entendez-vous par "consultation" ? C'est que... je ne suis pas vraiment d'ici, voyez-vous.

Curieusement, je m'étais mis à chuchoter, comme si je ne voulais en aucun cas troubler le "sommeil" de Zanory. Une déesse qui dort... est-ce possible ?

Je pris place sur un coussin moelleux, légèrement élevé grâce à une base composée de bois. Avant même que la jeune femme ne me tende un verre, je le pris vivement afin de le vider dans ma gorge asséchée.

- Glou, glou, glou... ahhhh ! Mes sincères remerciements ! Vous venez de me sauver de l'insolation. Pour vous répondre, je ne suis qu'un pauvre voyageur en quête... d'exotisme. Mon lieu de vie se trouve à Morrokoth, dans la charmante ville du nom de Valestria. Connaissez-vous cet endroit ? Il vous plairait, c'est à n'en pas douter.

Je contemplais le fond de mon verre, un sourire en coin. Bizarrement, mon atelier me manquait, ma famille aussi. Cela faisait des mois que j'étais parti. Ils se trouvaient si loin désormais...

- Je jouerai la carte de l'honnêteté : mon seul but était de m'émerveiller devant votre temple. Qui aurait pensé que ce lieu était si difficile d'accès...

Un petit rire secoua mes épaules alors que ma main frottait mes yeux fatigués. Durant ce geste, j'aperçus tout un tas d'encens, de breloques me rappelant étrangement les objets ésotériques dissimulés dans ma besace. Cela avait piqué mon intérêt. Dès lors, un vif éclair me traversa l'esprit : "pour qu'on leur lise l'avenir".

- On ? OH. VOUS. VOUS ÊTES UN ORACLE ?

Par réflexe, j'écarquillai les yeux tout en inclinant légèrement la tête, le dos droit comme un piquet. Je n'en avais jamais vu d'aussi près. Un oracle... hahaha, qui l'eût cru ?

- Après réflexion, je serais honoré de passer une de vos fameuses... comment dites-vous, déjà ? AH OUI. Consultation !

J'engloutis ce qui me restait d'eau pour signifier que j'en avais terminé, fin prêt à cette toute nouvelle expérience divinatoire.

L’ homme était tellement assoiffé qu’il m’arrachait presque le verre des mains ! J’entendais le bruit de l’eau qui descendait dans sa gorge, c’était tellement rapide qu’il devait sûrement manquer de s’étouffer ! C’était un voyageur ce qui me fascina tout de suite, j’adorais rencontrer les voyageurs qui prenaient le temps de me décrire le paysage et tout ce qu’ils ont pu voir et rencontrer. Les voyageurs me donnaient envie de prendre un sac à dos et de partir à l’aventure afin de le découvrir par moi-même.

« J’en ai entendu parler, mais je ne pense pas pouvoir poser un pied là-bas… J’ai des devoirs dans ce temple et surtout je sers la déesse Zanory. Bien que j’aimerais pouvoir voyager, moi aussi ! Oh attendez… je vais vous servir un morceau de gâteau, les escaliers ont dû vous achever ! »

Je n’attendis pas sa réponse pour aller chercher la part de gâteau qui était pré-découpé. La montée était plutôt difficile, mais ce qui cachait derrière les escaliers était un magnifique temple de la lumière perchée au bout d’un arbre. Bien que le temple fût devenu « normal » pour moi, son existence réjouissait beaucoup les voyageurs car c’était inédit. Cet homme devait le penser aussi. Je revenais avec le gâteau, je me baissais légèrement afin de retrouver la table, posais l’assiette, tapotais le vide afin de retrouver ma chaise et m’asseyais dessus.

« Le temple de la lumière est-une merveille, n’est-ce pas ? C’est un lieu sacré destiné à prier la déesse Zanory. Le temple est habité par les « yeux de Zanory », c’est-à-dire les oracles, je pense que vous en avez entendu parler ? Là derrière se trouve l’énorme lanythe rouge qui est le cœur de la déesse Zanory, elle est protégée par les ona’ashaïs, c’est là-bas que les ona’ashaïs jugent les prisonniers. »

Il fallut quelques minutes avant que l’homme comprenne que j’étais un oracle. Il ne devait pas trop connaître le temple de la lumière ! Les oracles étaient très connus sur ces terres, après tout, les oracles étaient des magiciens pouvant voir l’avenir. Et c’est très inhabituel ! Je souriais à ses propos.

« Mais oui bien sûr ! Je veux bien vous faire une petite consultation. Mais je dois vous avertir, il faudra laisser un petit quelque chose pour cette consultation. Bien que je n’aime pas demander d’écus... les autres oracles refusent que je le fasse gratuitement. C’est normal… car le temple a besoin d’être entretenu… Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous voulez toujours qu’on fasse ça ? »

Le gâteau apporté était agrémenté de notes sucrées qui vinrent chatouiller mon palais. J'écoutais cette jeune et belle oracle tout en hochant la tête, ne pouvant me permettre de parler lors de ma dégustation. Il me semblait avoir lu dans un livre l'affreux fardeau porté par les oracles : celui d'être aveugle. Cette seule idée me fit regretter mes paroles passées... comment pourrait-elle admirer la vue de Valestria si ses yeux ne discerne aucune couleur, aucune image ?

Je préférai me taire plutôt que de poser une de ces questions indélicates. Ma maladresse légendaire pourrait la blesser, j'en étais convaincu. Toutefois, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer la vie qu'elle menait, la façon dont elle vivait en ces murs... comment appréciait-elle la beauté des lieux ? Par l'odeur des cierges, la douceur du bois ?

Dans ces mille et une pensées, je perdis bientôt le fil de la conversation :

- … Qu’est-ce que vous en pensez ? Vous voulez toujours qu’on fasse ça ?

- Mh ?

Je marquai un temps d'arrêt, émergeant enfin de mes rêveries.

- Oui, oui, bien sûr ! Je vous suis avec plaisir.

Quel idiot. Je supputais une acceptation, une future consultation. Je n'allais tout de même pas la faire répéter, elle pourrait s'imaginer des choses !

Mon interlocuteur était plutôt enthousiaste à l’idée de tester le pouvoir des oracles. Il venait de loin et n’en avait jamais rencontré avant. J’étais habituée à ce genre de réactions bien que pour moi les oracles faisaient partie de mon quotidien. Les broutilles des voyageurs étaient source d’excitation pour la jeune oracle que j’étais, tandis que les aléas de la vie nomade étaient le quotidien des personnes que je rencontrais. C’était sûrement le cas du jeune voyageur.

J’acquiesçais et pris ses mains entre mes doigts. Le symbole tatoué sur ma main s’illumina dans la salle, personne ne s’était jamais plaint de la lumière qu’il dégageait donc j’en déduisais que le flash n’était pas aveuglant. J’entrevis le jeune homme, il devait avoir la trentaine, plus âgée que moi c’était certain. Il était avec un groupe de personnes, conversait et rentrait dans une espèce de bâtiment. De quoi s’agissait-il ? Tout ce que je pouvais en déduire c’est qu’il allait se faire de bons amis durant son voyage. Quelques secondes après, l’image se brouilla et fit place au néant, la vision s’était éteinte, la marque s’éteignit.

« Apparemment… vous allez rencontrer beaucoup de personnes pendant votre voyage et sûrement vous faire des amis très important. Vous allez faire partie de quelque chose… mais je ne sais pas quoi exactement. »

Je lâchais ses mains et les ramenais vers moi, ma main droite se posa sur ma main gauche posée calmement sur la table.

« J’espère que cette information vous aidera. Je suis contente d’avoir pu donner de bonnes nouvelles plutôt que des mauvaises. »

Je devais souvent annoncer de mauvaises nouvelles et il était très difficile pour moi de gérer des crises ! L’une des oracles m’a déjà crié dessus pour avoir laissé un client saccager une partie des tables de consultation. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je ne pouvais pas contenir la colère du vieil homme et encore moins l’attaquer et lui faire une clé de bras… je n’étais vraiment pas douée pour gérer les personnes colériques. J’espérais d’ailleurs que le voyageur ne se mettra pas dans une colère noire quand je lui dirais le prix de la consultation. Après tout, il ne m’a pas demandé le montant… il devait sûrement avoir beaucoup d’argent.

« Pour la consultation ça fera… 50 écales s’il vous plait. »

- Apparemment… vous allez rencontrer beaucoup de personnes pendant votre voyage et sûrement vous faire des amis très importants. Vous allez faire partie de quelque chose… mais je ne sais pas quoi exactement.

Je fis rapidement un hochement de tête, presque machinalement. Pour autant, je fus quelque peu déçu. Après tout, n'étais-je pas un voyageur ? Il paraissait normal d'être amené à côtoyer toute sorte de gens.
Je restai dubitatif devant son don. N'était-ce pas une oracle ? Zanory ne lui avait-elle pas conféré un pouvoir unique, capable de voir au-delà du possible ?

Je choisis de n'en rien laisser paraître, jusqu'à ce que cette femme m'annonce le prix. Je m'étranglai tellement fort, que plusieurs miettes du délicieux gâteau s'extirpèrent jusque sur le sol. Pas que cela soit démesurément cher. Non, n'importe qui aurait pu aligner une telle somme. N'importe qui, sauf moi. Mes dernières économies avaient fondues comme neige dans l'achat de vivres. Il me faudrait travailler, à l'avenir, pour payer mon retour.

- Euh... eh bien... c'est que...

Je joignis mes deux index, gêné et confus. Une mouche passa. Puis deux, puis...

- Je n'ai pas d'argent... mais... mais, s'il le faut...

Je réunis tout mon courage, au bord de l'explosion.

- ... s'il le faut, je peux, mh, vous savez... faire le gigolo ! Ou, euh... le ménage peut-être ? Oui, c'est parfait, balayer, astiquer... vous voyez ?

Sylsiza'an, que tu peux avoir l'air d'un imbécile ! J'expirai, apitoyé sur mon propre sort. Qu'allait-elle penser de moi ? Me prendre pour un mariole, sans doute. En y réfléchissant, j'en étais bien un.

Le jeune voyageur me fit part de son problème d'argent. Je fus légèrement embarrassée qu'il n'ait pas d'argent à me fournir, vis-à-vis de mes « tutrices ». Je n'avais aucun problème à le laisser partir sans me payer, lire l'avenir était une tache anodine pour moi, et ne me demandait aucune ressource particulière. J'étais tiraillée entre le laisser partir et le faire rester, mais le forcer à faire des choses qui ne lui plaisait pas forcément, n'était pas dans ma nature. « Gigolo » me fit sortir de mes pensées, mais qu'est-ce que c'était ? Le ménage ? Est-ce que ça avait un lien ? L'air dubitatif je lui demandais.

« Un gigolo ? Qu'est-ce que c'est ? »


Je soupirais et pris un air interrogatoire. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire ? Puis j'eus une idée plutôt intéressante, semant le doute dans la dette.

« Ecoutez, vous n'avez qu'à revenir me le payer plus tard ! Vous allez certainement gagner plein d'argent avec votre groupe d'amis que 50 écales ne vous feront pas du tout peur. »