« Aie la connaissance ou écoute ceux qui l'ont. » [PV : Sylsiza'an Hrothgar]

Le vent se lève. Une fine brume recouvre la cime des grands arbres et leur donne un aspect spectral que vient renforcer la pâle clarté de la lune. Suspendue à leurs troncs, la ville de Pavryon se métamorphose. Les ruelles s’emplissent de torches, de flûtes et de tambours. Les chants s’élèvent dans le ciel et les danseuses agitent leurs beaux jupons de couleur au rythme du luth. Les artisans et marchands ferment boutique, les hommes d’armes investissent les rue, mêlés aux fêtards et tenanciers.

Silhouette parmi les silhouettes, Anariel se glisse entre les arbres. Le bruit du vent et les chants euphoriques couvrent celui de ses pas. Dans ce nouveau monde, elle ne veut pas se faire remarquer. Elle a le temps, mais s'empresse de quitter l'euphorie du cœur de Pavryon pour rejoindre la tranquillité de quartiers plus éloignés. Le sentiment que sa présence ne convient pas à cette ville la freine.

Alors que son regard se pose sur une grande porte de bois massif, Anariel n'est plus très sûre d'avoir fait le bon choix.
Rejoindre l'Amicale Anthropologiste Inter-Ethnique lui semble être bien au-delà de ses compétences. Elle espère trouver chez eux les fonds pour mener à bien ses recherches, mais s'inquiète de la réaction des chercheurs lorsqu'ils apprendront la véritable nature de ces dernières. Etudier l'histoire de la magie est une chose. Souhaiter en apprendre davantage sur les Sans-visages en est une autre.

Son cœur se noue dans sa poitrine. Son regard devient flou et lointain. Une peur qu'elle s'applique constamment à enfouir refait surface. Ses traits se crispe, comme sous l'effet d'un coup de poignard. Elle inspire profondément, puis se détourne de la grande porte.

- Zanory, prêtez-moi votre courage, murmure-t-elle.

J'agitai les quelques écales, derniers vestiges de mon périlleux voyage. Récurer les sols, servir des clients aigris, entretenir les écuries... telles avaient été les tâches de ma dure labeur. Enfin ! Enfin avais-je pu embarquer à bord de l'aéronef, rejoindre Pavryon. Berceau de ma destinée, ces bâtisses semblaient étinceler sous l'astre blafard. L'heure était venue pour moi d'intégrer les rangs de l'Amicale. Embrasser un avenir tangible, semé de quêtes et de traversées !

L'air frais de la nuit éveilla mon esprit somnolent. J'ignorais où pouvait se trouver leur siège. Aussi, je posai ma main sur un passant, espérant recueillir les informations nécessaires :

- L'amicale ? Ce repère de guignoles ? Haha, continuez tout droit mon brave. Vous ne pourrez pas la louper ; une porte en bois massif, taillée par les plus grands artisans de la ville ! Beaucoup de chichi pour pas grand-chose, si vous voulez mon avis...

Je serrai les dents. La guilde jouissait d'une bien piètre image. Cependant, je me remémorai Lia et ses compagnons de fortune. Peu m'importait le qu'en dira-t-on... ces souvenirs restaient gravés en moi, inondant mon cœur d'une chaleur apaisante. Je le congédiai, lançant par-delà mon épaule une piécette en guise de remerciement.

C'est la pensée fuyante que j'arrivai à destination, apercevant au loin une jeune femme hésitante.

- Est-ce bien là que se terre l'Amicale, ma dame ?

La porte me séparant de l'entrée correspondait bien là au tableau dépeint plus tôt. Pour autant, j'aimais m'assurer de l'endroit où j'avais atterri.

Spoiler:

- Ne m'appelez pas ma dame, susurre-t-elle. C'est bon pour les femmes de haut rang.

Son regard croise celui de l'inconnu.
C'est un homme d'un âge incertain, d'une trentaine d'années, peut-être. De haute taille, au teint blafard et aux yeux d'ambre, sa voix douce est en même temps chaude et chantante. Ses longs cheveux bruns noués en catogan par une petite cordelette de cuir, ses grands cils sombres et le charisme presque mytique qu'il dégage laisse aisément croire qu'il est natif du peuple des A'ërith. A un détail près et pas des moindres : ses dents.

- En fait, ça n'a pas vraiment d'importance, s'empresse-t-elle d'ajouter en repoussant une mèche derrière son oreille. Si c'est la guilde de l'Amicale Anthropologiste Inter-Ethnique, vous êtes au bon endroit. Il n'y a qu'à frapper pour vous en assurer.

Sans ajouter un mot, Anariel se détourne de l'homme et de la grande porte. Elle fait quelques pas vers la ville, cherchant non sans peine à cacher son hésitation intérieure, puis s'arrête. Elle reprend, indécise, tournant légèrement le regard vers l'inconnu. Et lui, qu'espère-t-il trouver ici ? La connaissance ? La gloire ? Des réponses à ses questions ? Ou peut-être simplement un nouveau travail, pour nourrir sa famille ?

Ses pas s'arrêtent de nouveau, alors que son regard se fait plus insistant.

* Après tout, je ne suis peut-être pas la seule à vouloir en savoir plus sur...eux.*

Soudain, elle grimace. Sa main se porte à son épaule et l'enserre, pour faire taire la douleur. Sous le tissu, elle porte la marque de son mal. Marque maladroitement camouflée par de profondes cicatrices. Elles ne sont rien comparées à ce pouvoir. Rien comparées à ses pêchés. Rien comparées aux réelles intentions qui l'amènent à Pavryon.

Quelques flatteries abusives me vinrent en tête pour, aussitôt, s'évanouir face au bonheur annoncé. L'Amicale ! Je n'avais plus qu'à franchir le seuil... plus qu'à m'offrir à ce nouvel univers. Ce n'était pas l'envie de chanter qui manquait ! Cependant, la jeune femme semblait souffrante. La main sur l'épaule, ses traits délicats se crispaient de douleur.

- Ma... euh, qu'importe. Êtes-vous mal en point ? Désirez-vous un guérisseur ? Venez...

Dans un fracas retentissant, la large porte s'ouvrit, dévoilant un troll gigantesque. Le teint verdâtre, une multitude de pustules recouvraient son corps légèrement recroquevillé. Pour autant, il affichait un large sourire, lui et ceux lui emboîtant le pas.

- ... et c'est là que je lui ai dit : "Chérie, viens donc par ici. Après cette nuit, la beauté te semblera plus que superflue...".

- BWAHAHAHA. J'imagine bien sa tête à la grosse Ilda ! "Côôôôôômment ?". J'aurais donné mille écales pour voir son visage décomposé par la rage !

Nos présences ne semblèrent pas gêner leurs échanges. Jusqu'à ce que l'un d'eux nous lance un regard interloqué, apparemment peu enclin à poursuivre cette discussion si... particulière.

- Eh bien, c'est qu'y a du monde par ici. Z'êtes venus pour vous enrôler, vous aussi ?

- Je me présente, je suis Sylsiza'an Hro...

Il écarquilla les yeux, me coupant sur-le-champ.

- L'musicien luthier ? Eh bien, je pensais pas que tu t'pointerais aussi rapidement. Lia nous a envoyé une lettre récemment. "Prenez-soin de mon futur compagnon de route" qu'elle disait. Enfin, toi je veux bien mais... qui est cette charmante demoiselle à tes côtés ? Ne me dis pas qu'elle t'a permis d'amener femme et enfants. On fait pas dans le social l'ami !

- Vous faites erreur ! Je ne suis certainement pas sa femme ! protesta Anariel.

Un court instant, de pâle, elle devint écarlate.
Toute cette situation était gênante et absurde. Elle aurait dû rester à Elmur. Elle ignorait ce qu'elle y aurait fait, mais elle n'aurait pas dû venir à la rencontre de l'Amicale Anthropologique Inter-Ethnique. Sa quête était vaine. Non parce que le résultat serait à coup sûr décevant, mais parce que la quête en elle-même n'avait aucun sens : qui à l'Amicale serait assez fou, assez écervelé, pour la suivre dans l'étude des Sans-visages ? Lorsqu'ils apprendront la véritable raison de sa présence ici, il la jetteront dehors avant même qu'elle ait le temps de défendre sa cause. Et encore fallait-il qu'elle soit défendable...

- Ne le prenez pas mal... glissa-t-elle à l'attention du musicien, avant de poser son regard sur l'imposant troll. Pas que vous ne soyez pas mon genre mais...

Il était immense. Ce n'était pas la première fois qu'elle croisait un troll, mais des comme celui-là, elle n'en avait jamais vu. Si elle n'avait pas eu Sylsiza'an à ses côtés, sans doute aurait-elle pris la poudre d'escampette sans même demander son reste. A première vue, il avait plus l'allure d'un mercenaire que d'un savant. Reculant d'un pas, elle trouva refuge derrière le musicien. Non vraiment, ce troll était réellement effrayant.

- En fait, il cherchait son chemin. Je l'ai aidé, c'est tout. Je ne viens pas pour...

Anariel serra les poing. Chacune de ses paroles lui crevait le cœur.

- Je ne viens pas pour intégrer la guilde. Même si j'en ai très envie ! Mais croyez-moi, vous en aurez vite assez de moi et me jetterez dehors par la peau des fesses ! Elle rit faussement avant d'ajouter : Il me semble que vous soyez arrivé à bon port, Monsieur Sylsiza'an.